La solitude, tu ne l'as jamais aimé, et ce, depuis tes plus jeunes années. Toujours entouré, et ce, depuis ton plus jeune âge tel le prince héritier que tu étais. Pourtant, depuis ta rupture avec 'elle', la solitude te guettait. Te rappelant amèrement que cette femme avait laissé un trou béant dans ta poitrine, elle te remémorait également des souvenirs que tu avais envie d'oublier. L'isolement faisait remonter des choses. Trop de choses. Des choses qui te rendaient un peu plus meurtries chaque jour. Des choses qui t'empoisonnaient l'esprit. Tu étais 'malade', tu ne voulais pas être guéri, et tu ne pouvais pas en parler non plus à quiconque. Les médecins auraient été incompétents face à ton état, et ton entourage ne pouvait pas te comprendre ... Tout était de ta faute en plus. Aux yeux du monde, tu étais le salop ayant rejeté de manière brutale et méchante, une Reine ; ou au contraire, le 'héros' du jour pour avoir déshonoré une femme dragon … De toute manière, même en prenant connaissance des faits, tu étais persuadé qu'aucun ne serait t'écouter, et surtout te comprendre. Soazic en était l'exemple. Connaissant l'arrière du décor, il avait pris position, et ce n'était pas la tienne malheureusement. Alors tu as toujours tout gardé pour toi, enfouissant ce qui devait l'être ; gardant secret ce que tu avais vu ce fameux jour. Et là encore aujourd'hui, après avoir quitté la chambre de la vile traîtresse, tu te retrouvais seul dans la bibliothèque du château. Tu aimais fort bien cet endroit, c'était peut-être même ton préféré de Roseclair. Calme, tu pouvais trouver en ces lieux deux choses primordiales à tes yeux, passant bien avant les jeux, les fêtes, et les femmes : le savoir et l'imagination. Le prince idiot n'était qu'une apparence, une couverture, une image que tu as cédée à montrer aux yeux du monde. Certes, tu aimais t'amuser, mais il n'en restait pas moins que tu aimais cultiver ton savoir, ce qui n'était pas forcément le cas étant enfant, en effet. Alors tu flânais entre les différentes étagères, te demandant quel livre tu allais lire aujourd'hui. Et avant que tu ne choisisses, une petite souris interrompue ta quête. « Grenouille ! Lis-moi une histoire ! » Anthea, dernière petite princesse du Roi Alberic. Ta petite sœur.

Sourire aux lèvres, tu l'accueillis les bras ouverts, et elle se logea contre ton torse. Tout comme « bon » Montrose, la famille était à tes yeux ce qu'il y avait de plus important. Tu aimais chacun des membres qui composait ta maison, et tu chérissais les petits derniers. « Je t'ai dit cent fois de ne pas courir ici, ni de crier. » Tu pris une voix qui se voulut sévère – échec remarquable -, et la réprimandant, tu lui pinças son petit nez ; ce qui la fit rire. « Je suis comme toi, il faut me répéter les choses plusieurs fois. » Faisant une mine faussement outrée, tu la chatouillas pour la punir de son affront. Elle était bien plus bruyante avec toi finalement ! Puis, comme d'habitude, elle finit par choisir un livre, et tu t'installas avec elle. Effectivement, tu avais fait la lecture à bon nombre de tes frères et sœurs lors de vos années folles, pleines de jeunesse. C'était devenu un rituel chez toi, et Anthea n'y avait pas échappé pour son plus grand plaisir. Ainsi, lorsque l'histoire fut terminée sa gouvernante vint la chercher, te laissant une nouvelle fois seul avec toi-même. Et pour éviter que de mauvaises pensées te minent de nouveau le moral, tu cherchas le plus rapidement possible un autre ouvrage, jusqu'à ce qu'une nouvelle rencontre ne t'interrompe également. Une femme que tu n'avais jamais vue auparavant. D'une beauté conséquente, tu ne l'aurais pas oublié si tu l'avais jadis rencontré. Or, pourtant, il te fut aisé de l’identifier sans qu'elle n'ouvre la bouche pour se présenter. Cheveux de blé, yeux océans, possédant une peau pâle dû au manque de soleil. Elle venait du Nord. Northcrown, assurément. Et de ce que tu avais entendu de la bouche d'un de tes frères, une invitée de marque était arrivée, Vana quelque chose. Tu n'avais pas retenu son nom, tu avais retenu son titre. Reine de Bramblesland, épouse de Aeddan Thornsfield … En somme, de l'homme que tu détestais le plus au monde.

Ainsi, tu n'es jamais venu l’accueillir comme le reste de ta famille lorsqu'elle est arrivée sur les terres de votre contrée. Était-elle aussi laide que son époux ? Pourquoi la femme d'un démon était ici au Val de Joly ? Tant de questions ! Pourtant, les premières paroles que tu lui dis furent aussi douces que de la crème. Savoir faire semblant était un art ici. « Et bien ! Je ne m'attendais pas à voir une telle beauté en ces lieux ! » Sourire sur le visage pour enfoncer le clou, tu ne te présentas pas, et, ce fut volontaire de ta part. Tu faisais toujours semblant d'être quelqu'un d'autre quand tu rencontrais pour la première fois quelqu'un. Tu voulais connaître ses intentions vis-à-vis des Montrose, tu voulais cerner la personnalité.

La princesse de Northcrown n'avait pas l'air de t'avoir reconnu – comment aurait-elle pu d'ailleurs, ne l'ayant jamais rencontré auparavant ? -, et tu te pris alors au jeu. Jouer des rôles avait toujours été très divertissant pour toi. Faire semblant, ou te faire passer pour ce que tu n'étais pas étaient des moyens tout aussi efficaces que de boire jusqu'à t'en rendre malade pour échapper à la dure réalité. Il était effectivement agréable parfois de ne plus être ce prince héritier sur qui on avait posé tant d'espoir pour le futur. Il était fort plaisant également de ne plus être cet homme blessé et abîmé par la perfidie d'une simple femme. Ainsi, devant cette noblesse venue du nord, tu mis de côté cette couronne, et ce passé trop lourd à porter ; pour vêtir l'habit de ce garçon, dont le nom était aussi illustre que celui de ton valet de chambre. Il n'y avait que tes vêtements pour te trahir, car ton comportement fut d'une nonchalance et d'une désinvolture presque insolente, ce qui détonnait avec celui de ton rang … Mais ça, n'était-ce pas un trait naturel chez toi ? Ton jeu d'acteur n'en était pas un, finalement. « J’espère que cela ne vous dérange pas. J’ai prévenu un serviteur que je préférais découvrir le château avant de rejoindre mes appartements. Je ne m’attendais pas à autant de richesses dans vos livres. » Prenant place sur une table, ce n'est pas sur une chaise que ton royal fessier trouva refuge, mais sur la table elle-même. Et assis comme un Indien, ton regard la joncha, la regardant sans la moindre gêne des pieds à la tête. En soit maladroit, tu en devenais même malpoli. Ce n'était pas une façon de se tenir devant une tête couronnée, ni devant une invité. « Aucunement. N'ayez crainte, vous promener librement en ces lieux est un droit ma dame … Ou devrais-je dire Majesté ? » Esquissant un sourire en la regardant, ton côté charmeur resta intact. Tu ne pouvais t'en empêcher, c'était plus fort que toi, en présence d'une belle demoiselle, il t'était naturel de la séduire. Et en général, tu ne faisais preuve que de peu d'effort pour y arriver ; car si ta famille était dépourvue de toute magie, elle était certainement celle qui comptait le plus de jolis minois dans tout Enarya. La beauté était une de vos caractéristiques, comme celle qui faisait de vous des pacifistes. Peut-être un poil narcissique, tu te savais beau, et tu en as toujours joué.

« Rien au Val de Joly n'est dépourvu de richesse. » Pris-tu la peine d’ajouter avec fierté. Et ce n'était qu'un euphémisme. Ce royaume était certainement le plus riche de tout le continent. Te jaugeant elle aussi de quelques œillades, tu soutenu son regard. Les gens du Nord étaient assez mystérieux à tes yeux, austères, renfermés, presque inaccessibles. Alors en voir une d'aussi près, t'intriguait beaucoup. Il était, en effet, bien rare que tu puisses converser avec une personne originaire de Northcrown, et d'une membre de la famille royale en plus. Tu ne te souvenais pas en avoir déjà eut l'occasion d'ailleurs. Il était donc certain que tu allais profiter de l'aubaine. « Et vous êtes ? Hormis un grand lecteur, sinon vous ne seriez pas dans un lieu comme cette immense bibliothèque. » Arquant un sourcil, tu fis mine de réfléchir, avant de répondre sur un ton taquin : « Ne trouve-t-on que des grands lecteurs dans les bibliothèques ? » Tu éludas ouvertement sa question par une autre, peu désireux d'y répondre. Une question qui se voulut pleine de sous-entendus, tendancieuse à souhait. Décidément, hormis ton nom, rien ne faisait croire que tu étais prince ! Tu avais certes l'esprit ouvert comme tout Montrose qui se respecte, mais tu parlais de choses déplacées aussi aisément que le plus impoli des bandits. Yeux rieurs et un peu moqueurs, tu ne cachais pas ton envie de la mettre mal à l'aise ; et pourquoi pas de lui tirer quelques sourires, si tu lui étais un tant soit peu agréable, et amusant. « Trêve de plaisanterie. Je suis Orphée Deboisvillers, heureux complice du prince héritier. Pour vous servir. » Si au départ, tu voulus te présenter comme un Montrose, tu te ravisas bien vite, ne te souvenant plus si la Reine avait été présentée à la famille royale ou pas. Et ne voulant guère griller ta couverture aussi bêtement, tu préféras prendre l'identité de ton meilleur ami.

« Mais que fait une invitée de marque, seule, dans la bibliothèque royale ? Ne devrait-elle pas être accompagnée par les princesses Montrose ou par le Roi lui-même ? » Demandas-tu. Que faisait-elle en ces lieux ? Que faisait-elle dans ce pays tout court ? Tu en revenais toujours aux mêmes questions. Si tu lui étais agréable, bien qu'un peu insultant, il n'en restait pas moins que tu te méfiais d'elle. Tu n'aimais guère les gens venant de Bramblesland. Pire, de tout ce qui était proche de cet homme dont tu ne prononçais jamais le nom, au risque d'en devenir plus vulgaire que tu ne l'étais déjà. De plus, plus qu'une Thorsfield, c'était une femme du nord, en soit un ennemi naturel du Val de Joly ...